Fixation du loyer en bail commercial : comprendre la procédure du mémoire

1. Le cadre juridique du renouvellement du bail commercial

Le bail commercial est un contrat autonome dont le régime est principalement défini par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce.

Il s’agit d’un bail dit 3/6/9 dont le terme est généralement fixé au bout de la neuvième année.

A échéance, le locataire bénéficie d’un droit au renouvellement, sauf exceptions (motif grave, refus motivé, etc…).

À l’occasion de ce renouvellement, le loyer peut être révisé. Deux situations sont alors possibles :

  • Les parties trouvent un accord amiable sur le nouveau loyer,
  • Un désaccord persiste entre les parties sur le montant.
 

Dans le second cas, une procédure judiciaire de fixation du loyer peut être engagée à l’initiative de la partie la plus diligente, et ce conformément aux dispositions des articles L. 145-33 à L. 145-38 du Code de commerce.

2.Le principe de la fixation judiciaire du loyer

Il arrive que le bailleur et le locataire ne s’entendent pas sur le montant du nouveau loyer. Dans ce cas, l’une des deux parties peut saisir le président du tribunal judiciaire, par le biais d’une procédure spécifique dite “à jour fixe” (article R.145-28 du Code de commerce).

Le juge devra alors fixer le loyer à la valeur locative, conformément à l’article L.145-33 du Code de commerce :

« Le montant du loyer du bail renouvelé est déterminé d’un commun accord entre les parties ou, à défaut, fixé conformément à la valeur locative. »

C’est l’article R.145-23 du Code de commerce qui expose le principe du mémoire :

« Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire. »

Cependant, avant même de saisir le juge, les parties peuvent décider de se tourner vers la commission départementale de conciliation des baux commerciaux (article L.145-35 du Code de commerce)

Cette dernière a compétence pour favoriser la conciliation des parties en vue de résoudre le différend portant sur la fixation du loyer du bail renouvelé.
3.Qu’est-ce qu’un « mémoire » dans la procédure de fixation judiciaire du loyer ?

Le terme « mémoire » désigne un écrit de procédure rédigé par chacune des parties, souvent par l’intermédiaire de leur avocat. Ce document contient :

  • Les prétentions chiffrées des parties : correspondant au montant précis du loyer que les parties revendique respectivement.
  • Les fondements juridiques : il doit exposer les textes de loi et les principes juridiques sur lesquels la demande s’appuie.
  • Les arguments économiques et factuels : cela concerne par exemple les caractéristiques du local, la destination du bail, les facteurs locaux de commercialité, des comparaisons locatives etc.
  • Les pièces justificatives : il doit être accompagné de documents probants numérotés et listés dans un bordereau de pièces.
 

Ces mémoires sont échangés contradictoirement (selon le principe du contradictoire) et versés au dossier.
4.La compétence matérielle et territoriale en matière de bail commercial

L’article R.211-4 2° du Code de l’organisation judiciaire dispose que :

“En matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l’ensemble des ressorts des tribunaux judiciaires d’un même département ou, dans les conditions prévues au III de l’article L. 211-9-3, dans deux départements, de l’une ou plusieurs des compétences suivantes :

(…)

Des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce.”

L’article R.145-23 alinéa 1 précise que :

“Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.”

Autrement dit, la décision est rendue par un juge unique, désigné également sous l’appellation de « juge des loyers ».

L’article R.145-23 alinéa 3 du Code de commerce fait mention de la compétence territoriale :

“La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble.”
5.Le déroulement de la procédure judiciaire de fixation du loyer

  • Échange de mémoire entre les parties
 

Avant toute assignation, chaque partie notifie à l’autre, par lettre recommandée avec avis de réception, son mémoire et ses pièces justificatives.

Le mémoire doit, de façon obligatoire, faire mention des éléments suivants :
Article R.145-24 :

“Les mémoires indiquent l’adresse de l’immeuble donné à bail ainsi que :

1° Pour les personnes physiques, leurs nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;

2° Pour les personnes morales, leurs dénomination et siège social, ainsi que le titre et les nom et prénoms de leur représentant légal.”
Article R.145-25:

“Les mémoires contiennent :

1° Une copie de la demande en fixation de prix faite, selon le cas, en application de l’article L.145-11 ou en application de l’article R.145-20 ;

2° L’indication des autres prétentions ;

3° Les explications de droit et de fait de nature à justifier les prétentions de leur auteur ou à réfuter celles de l’autre partie.”

Concernant les obligations de forme, l’article R.145-26 du Code de commerce dispose que :

“Les mémoires sont signés des parties ou de leurs représentants. Les copies des pièces que les parties estiment devoir y annexer sont certifiées conformes à l’original par le signataire du mémoire. Les mémoires sont notifiés par chacune des parties à l’autre, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La notification est valablement faite par le locataire au gérant de l’immeuble.”

Selon les dispositions de l’article R.145-27 du Code de commerce, à compter de la notification du mémoire, aucune partie ne peut saisir le juge des loyers pendant une durée un mois. Cette notification interrompt le délai de prescription biennale et fait courir un nouveau délai de deux ans.

La partie défenderesse peut, durant ce délai, déposer un mémoire en réponse à la partie adverse.

A ce titre, l’article R.145-25 alinéa 2 du code de commerce précise que :

“Les mémoires en réplique ou ceux rédigés après l’exécution d’une mesure d’instruction peuvent ne comporter que les explications de droit ou de fait.”

  • Saisine du tribunal
 

A la fin de cette période d’un mois, la partie la plus diligente saisit le président du tribunal judiciaire.

Pour se faire, elle doit déposer son mémoire ainsi que ses pièces au greffe afin de déterminer la date d’audience.

  • Expertise judiciaire
 

Cette étape est facultative mais reste fréquente dans la pratique.

Le juge peut désigner un expert judiciaire pour déterminer la valeur locative du local.

L’expert rend un rapport après avoir convoqué les parties et visité les lieux.

  • Jugement
 

Après la production de l’ensemble des pièces et, le cas échéant, du rapport d’expertise, le juge des loyers commerciaux statue sur le montant du loyer du bail renouvelé déterminé sur à la valeur locative, sauf dans le cas où un plafonnement légal viendrait à s’appliquer.

Mais comment le juge fait-il pour déterminer la valeur locative du bien ?

C’est l’article R. 145-3 du Code de commerce qui dispose que cette valeur est déterminée en fonction de :

« 1° De sa situation dans l’immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;

2° De l’importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l’exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;

3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d’activité qui y est exercée ;

4° De l’état d’entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;

5° De la nature et de l’état des équipements et des moyens d’exploitation mis à la disposition du locataire. »

En ce qui concerne les limites de la fixation du nouveau loyer, l’article R.145-21 du Code de commerce dispose que :

“Le prix fixé judiciairement ne peut, en aucun cas, excéder les limites de l’offre et de la demande faite, selon le cas, en application de l’article L.145-37 et conformément à l’article R.145-20 ou en application de l’article L.145-11, sauf si depuis lors les parties ont varié dans leurs prétentions.”

Dans le cas où les prétentions des parties évoluent, l’article R.145-21 alinéa 2 du Code de commerce dispose que :

“le prix ne peut prendre effet, dans la mesure où il excéderait les limites fixées par les prétentions originaires des parties, qu’à dater de la notification des nouvelles prétentions.” aussi appelé “mémoire additionnel”.

A ce titre, la jurisprudence est venue lever l’incertitude qui entourait le loyer dû pendant la procédure de fixation et l’effet rétroactif du nouveau loyer.

Elle précise que dans l’attente de la décision judiciaire, le locataire demeure tenu de verser le loyer au montant antérieurement convenu. Une fois le nouveau loyer fixé par le juge, celui-ci s’applique rétroactivement à compter de la date de renouvellement du bail. Le locataire doit alors acquitter la différence entre ce nouveau loyer et les sommes déjà versées depuis cette date. (Cass; 3e civ., 12 avril 2018, n°16-26514).

Enfin, une fois la décision devenue définitive, le nouveau bail doit être signé dans le délai d’un mois suivant sa notification, sauf si le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci, à charge de celle des parties qui a manifesté son désaccord de supporter tous les frais.

Si le bailleur n’a pas envoyé au preneur, dans le délai d’un mois, le projet de bail conforme à la décision susmentionnée, ou si les parties ne sont pas d’accord dans le mois suivant cet envoi, l’ordonnance ou l’arrêt fixant le loyer ou les conditions du nouveau bail tient lieu de bail. (Article L.145-57 alinéa 2 du Code de commerce).
6.L’existence d’un droit d’option

Une fois le nouveau loyer commercial fixé par le juge, chaque partie dispose d’un mois à compter de la notification de la décision définitive pour exercer son droit d’option et renoncer au renouvellement du bail.

Ce choix est irrévocable.

En effet, c’est l’article L.145-57 al.2 du Code de commerce qui dispose que :

« Dans le délai d’un mois qui suit la signification de la décision définitive, les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement, à moins que le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci, à charge de celle des parties qui a manifesté son désaccord de supporter tous les frais. Faute par le bailleur d’avoir envoyé dans ce délai à la signature du preneur le projet de bail conforme à la décision susvisée ou, faute d’accord dans le mois de cet envoi, l’ordonnance ou l’arrêt fixant le prix ou les conditions du nouveau bail vaut bail. 
7.Les voies de recours

La décision rendue peut faire l’objet d’un appel dans un délai d’un mois à compter de sa notification (Article 538 du Code de procédure civile).

Toutefois, le juge peut en ordonner l’exécution provisoire malgré l’appel, auquel cas celui-ci n’aura pas d’effet suspensif.