L’été rime avec congés pour beaucoup, mais pour un chef d’entreprise, l’absence physique n’exonère pas de ses responsabilités légales.
La loi impose au dirigeant de veiller constamment au respect de ses obligations, qu’elles soient civiles, pénales ou sociales. Dans ce contexte, la délégation de pouvoirs constitue un mécanisme juridique permettant d’assurer la continuité de l’activité tout en limitant les risques de responsabilité personnelle.
Définition juridique de la délégation de pouvoirs :
La délégation de pouvoirs est l’acte par lequel le dirigeant transfère temporairement et formellement une partie de ses pouvoirs décisionnels à un subordonné, avec l’objectif que ce dernier agisse en son nom dans le cadre de la mission définie.
Le salarié représente ainsi la société dans la limite de ses attributions.
Elle est, par exemple, particulièrement utilisée dans les cadres des relations sociales en entreprise (délégation RH) mais peut également porter sur des fonctions administratives ou financières.
Pourquoi déléguer ses pouvoirs ?
La délégation de pouvoirs permet d’assurer la continuité de l’activité en permettant au délégataire de prendre les décisions courantes, qu’il s’agisse de valider des contrats, de signer des bons de commande ou de gérer des litiges, sans que le fonctionnement de l’entreprise ne soit interrompu, notamment pendant la période de congés.
Elle contribue également à limiter la responsabilité du chef d’entreprise puisque, en cas d’infraction commise dans le cadre de la délégation accordée, la responsabilité pénale du dirigeant peut être partiellement transférée au délégataire, sous la réserve que les infractions commises relèvent de la compétence de ce dernier.
Enfin, elle offre au chef d’entreprise la possibilité de s’absenter, notamment pour prendre des congés, en toute sérénité, sans craindre de laisser en suspens des décisions importantes.
Les conditions de validité de la délégation :
Pour qu’elle soit juridiquement efficace, la délégation doit toutefois respecter plusieurs conditions :
- La personne du délégataire : le dirigeant doit s’assurer que le salarié désigné possède les compétences et moyens nécessaires pour exercer les pouvoirs délégués, à savoir :
- Disposer d’une autorité réelle, de compétences avérées et des moyens nécessaires pour agir efficacement.
- Être salarié de l’entreprise, même si la jurisprudence a consacré la validité des délégations accordées à un salarié de la société mère lorsqu’il agit pour une filiale (Cass. soc., 30 juin 2015, n° 13-28.146) ou à un travailleur temporaire en mission de remplacement (Cass. soc., 2 mars 2011, n°09-67.237, 09-67.238).
- Exercer ses missions avec une autonomie effective, sans ingérence excessive du délégant (Cass. soc., 1er déc. 2021, n° 20-16.851).
- Posséder les connaissances techniques et l’expérience requises pour appliquer la réglementation (Cass. crim., 20 octobre 1999, n°98-83.562 ; Cass. crim., 8 déc. 2009, n° 09-82.183).
- Un formalisme écrit : bien qu’en principe aucun texte n’impose que la délégation soit formalisée par écrit, il est fortement recommandé de matérialiser la délégation de pouvoir afin d’en déterminer l’étendue, notamment en cas de contestation.
- Un champ d’attribution précis et limité, clairement défini : les pouvoirs délégués doivent être clairement défini (éviter tout ambiguïté : durée, étendue, limite) afin non seulement de limiter la responsabilité du délégataire mais également d’éviter toute ingérence du délégant.
Il est également rappelé qu’une délégation de pouvoirs ne peut être ni générale ni illimitée dans le temps. Elle doit être circonscrite à un secteur, une mission ou une opération spécifique
De ce fait, certains pouvoirs sont indéléguables, comme l’approbation des comptes annuels ou les fonctions statutaires essentielles.
Attention toutefois à ne pas confondre délégation de pouvoir et délégation de signature. L’une transfert la responsabilité de la décision prise quant l’autre n’autorise que le délégataire à signer à la place de son délégant pour des actes bien déterminés.
Le chef d’entreprise reste donc responsable en cas de délégation de signature de toutes les conséquences inhérentes aux actes signés par son délégataire.
Limites à la délégation de pouvoirs : la co-délégation et la subdélégation
Il est important de rappeler les limites de la délégation de pouvoir et notamment en cas de co-délégation.
En effet, la jurisprudence rappelle de manière constante que dans un même domaine de compétence, la délégation de pouvoirs ne peut être accordée qu’à une seule personne.
Fort logiquement, la Haute juridiction française considère qu’attribuer une délégation identique à plusieurs individus aurait pour effet de diluer l’autorité et l’autonomie indispensables à l’exercice des fonctions déléguées (Cass. crim., 22 septembre 2015, n°14-84.355).
En revanche, la Cour de cassation affirme la validité d’une pluri délégation lorsque les pouvoirs du dirigeant sont répartis en plusieurs volets distincts, y compris au sein d’un même secteur. Dans ce cas, les missions attribuées à chaque délégataire sont clairement définies et séparées, de manière à préserver leur autorité et leur capacité d’initiative.
S’est également posé la question de la notion de subdélégation qui consiste pour un délégataire à transférer à l’un de ses collaborateurs une partie des pouvoirs qui lui ont été confiés.
Cette notion a été également admise, à la condition que ce subdélégataire dispose, lui aussi, de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission (Cass. crim., 30 octobre 1996).
Une subdélégation « en cascade » peut ainsi être envisagée. Il convient toutefois de s’assurer que chacun des délégataires remplis les conditions exposés en supra.
Etant précisé que l’accord du chef d’entreprise n’est toutefois pas obligatoire, bien que recommandée.
Il lui appartient donc d’être particulièrement vigilant aux éventuelles subdélégations qui pourraient être accordées par ses subordonnés à d’autres.
Le cas de la délégation en matière d’hygiène et de sécurité :
Dans certains domaines, la délégation de pouvoir ne relève pas seulement d’un choix stratégique mais d’une véritable obligation légale.
C’est notamment le cas en matière d’hygiène et de sécurité : lorsque la taille ou l’organisation de l’entreprise ne permettent pas au chef d’entreprise de veiller lui-même au respect des règles prescrites, il est tenu de déléguer ses pouvoirs à une personne disposant de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires pour en assurer l’application.
À défaut, il engage directement sa responsabilité pénale.
Particularités pour les professions réglementées ou nécessitant des qualifications spécifiques :
Enfin, certaines activités ne peuvent légalement être exercées que par des personnes titulaires d’un diplôme, d’un titre ou d’une compétence spécifique.
Il s’agit notamment des professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, des professions juridiques et financières réglementées (avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes) ou encore des activités techniques sensibles (ingénieurs agréés, experts en sécurité industrielle, architectes, etc.)
Dans ces cas, la délégation de pouvoirs doit respecter des conditions supplémentaires et le délégataire doit notamment être titulaire du titre ou de la compétence exigée par la loi ou le règlement.
La délégation doit également être conforme avec les obligations professionnelles et déontologiques spécifiques à la profession.
Conclusion
La délégation de pouvoir est un outil de gestion des responsabilités aussi efficace que sensible. Son efficacité repose sur une rédaction claire, une répartition précise des missions et une vigilance constante quant à sa compatibilité avec d’autres instruments juridiques.
Une mauvaise configuration peut entraîner la nullité de la délégation et le maintien de la responsabilité pénale du dirigeant.
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